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Culture Foot Solidaire contre les dérives esclavagistes du Football (03 -2009)

février 19, 2009

Attirés par l’argent facile, de jeunes africains traversent la Méditerranée et se retrouvent livrés à eux-mêmes 

Issa, 17 ans, passe des jours difficiles depuis qu’un agent peu scrupuleux est allé le chercher dans son Cameroun natal en 2001 : « Si je n’avais écouté que moi, j’aurais commis l’irréparable » soupire l’adolescent. Sans papiers, sans famille, il se démène dans la banlieue parisienne. Par « peur du regard des autres », il n’a pas parlé de sa situation ni aux professeurs de son lycée, ni aux dirigeants de son club, où il joue en division régionale. Depuis 2000, Jean-Claude Mbvoumin, président de l’association Culture Foot Solidaire et ancien international camerounais de Football, défend les droits de jeunes africains victimes de ce qu’il décrit comme une traite moderne d’êtres humains. « L’association accompagne l’intégration des jeunes en Europe et informe éducateurs, familles et dirigeants en favorisant la coopération Nord-Sud » déclare-t-il. A l’initiative de CFS,  la seconde conférence internationale du jeune joueur africain a eu lieu à Yaoundé en octobre 2008. Elle a jeté les bases d’une charte européenne de respect des droits du jeune footballeur. Des marques comme Danone et des notables du Football comme Aimé Jacquet, ancien coach de l’équipe de France championne du monde en 1998, soutiennent la cause. Malgré cette solidarité, le fléau perdure. Plus de mille cas sont aujourd’hui gérés par CFS en France.

 

Des marchands de rêves à la clandestinité

 

Suite à l’arrêt Bosman de 1995,  le marché des transferts de joueurs s’est libéralisé. Le nombre de joueurs étrangers pouvant figurer sur la feuille de match est illimité. Rémy N’Gono, journaliste camerounais réfugié et spécialiste du football africain sur Europe 1 s’indigne : « Cet arrêt a éveillé la cupidité d’intermédiaires reconvertis en agents et chargés d’établir le lien entre joueur et club acheteur. Ces agents chassent dans les régions défavorisées comme l’Afrique qui regorgent de talents bon marché, dociles et prêts à tous les sacrifices. Les agents utilisent de faux contrats en guise d’appât ». Les « passeurs »  obtiennent des visas provisoires de touriste ou d’étudiant auprès de services africains complices. « Un jour, un agent portugais est venu nous voir. Il m’a dit que j’étais bon et m’a demandé si j’étais partant pour une expérience européenne. Il m’a assuré que c’était sérieux. Mes parents ont pris une « tontine » (NDLR : emprunt local) pour me payer mon billet d’avion. Je suis arrivé à Paris, puis je me suis blessé. Un jour l’agent m’a laissé devant le stade de France en me disant que quelqu’un du PSG allait venir me chercher pour un essai. Personne n’est jamais venu » témoigne Issa. « Plutôt que d’affronter la honte du retour au pays, le joueur préfèrera une vie d’errance. Il sera en quête de petits boulots pour compléter les subsides versés par des clubs amateurs dans lesquels ils échouent » observe Rémy.

 

Un cadre légal inopérant et une responsabilité diffuse

 

 Il existe des règles européennes couvrant les jeunes travailleurs immigrés : âge minimum de 18 ans, rémunération minimale et délivrance d’un permis de travail. Alain, membre du Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme constate : « il n’y a aucun contrôle quant au respect de ces règles aux ministères des affaires sociales ou du travail. La tendance est de faire venir des joueurs de 15 ans, de leur faire signer un contrat légal en modifiant leur âge et d’en signer un autre avec l’agent auquel il sera lié pour dix ans. Ses droits seront le plus souvent bafoués ». Robert Beroud, responsable pédagogique du centre de formation de l’olympique lyonnais fulmine : « nous sommes en face de trafiquants qui essaient de nous vendre comme des marchandises des enfants de 13-14 ans, en toute impunité ». Jean-Claude Mbvoumin tempère : « les clubs ne peuvent pas tout mettre sur le dos des agents, ils contribuent au trafic en envoyant des émissaires en Afrique pour importer la perle rare au moindre coût». Les clubs de Lille et de Nantes n’ont pas souhaité répondre à nos questions sur le sujet. 

 

 Des avancées politiques  

 

 « En tant que président de la LICRA (NDLR : Ligue contre le racisme et l’antisémitisme) et parlementaire européen, je me devais de collaborer à la présentation d’un texte contre ce trafic d’être humain » précise Patrick Gaubert. Grâce à ce soutien, CFS a été auditionnée par la commission européenne afin de légiférer et prévoir des sanctions pour les acteurs qui se rendraient complice de cette traite institutionnalisée. CFS a obtenu la reconnaissance de l’exploitation des enfants dans le Football à travers le rapport européen Belet de Mars 2007. Néanmoins, la directive FIFA (NDLR : Federation International Football Association) relative à la protection des mineurs et visant à contrôler les transferts de joueurs est encore largement contournée. Faute de faire appliquer sa directive, la FIFA participe à la prévention  en Afrique. Elle a lancé le programme « gagner en Afrique avec l’Afrique » et a investi 70 millions d’euros pour endiguer l’exode des jeunes footballeurs, en créant des ligues nationales structurées sur tout le continent. « C’est en Afrique que nous gagnerons le combat, tout le monde s’accorde sur ce point, mais il faut soigner le mal qui a déjà été fait » conclut Jean-Claude Mbvoumin.

 

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« Le Football a besoin de dénonciation pour que ça bouge ! » (03-2009)

Interview : Jean – Claude Mbvoumin, président de l’association Culture Foot Solidaire, ex international de Football camerounais

 

–          Quelles ont été les faits marquants de la conférence du jeune joueur africain qui a eu lieu au Cameroun fin 2008 ?

Cette conférence a confirmé l’existence de la traite des jeunes joueurs africains et a contribué à mettre la pression sur les instances pour mettre en place des moyens politiques et policiers contre ce problème. Nous avons aussi établi les grands principes de la protection des mineurs en préconisant que les académies de Football qui se créent en Afrique soient enregistrées dans les fédérations nationales. Cela permettra une meilleure traçabilité des enfants, de contrôler ces académies et de faire pression pour que des mesures soient prises en cas de non respect du droit des jeunes. De plus, puisque l’article 19 du règlement de la FIFA relatif au transfert et au statut des joueurs est contourné, nous avons demandé la création d’une sous commission FIFA pour gérer les transferts de joueurs au cas par cas.

 

–          De quels moyens disposez- vous en 2009 ?

Nous sommes 7 bénévoles, hébergés chez un sympathisant, Porte de Bagnolet à Paris. Nous travaillons avec les services sociaux liés à l’accueil et au soutien des jeunes comme l’aide à l’enfance ou les juges pour enfant. Nous multiplions aussi les partenariats comme celui avec « France terre d’asile ». Ce bénévolat montre néanmoins ses limites. La FIFA a donné des moyens, il faut rendre hommage à Sepp Blatter, son président, mais on attend plus.

 

–          Quelles sont les grandes échéances de 2009 pour CFS ?

La priorité est donnée au Suivi des enfants. On recense de plus en plus de clubs avec des gamins sans papiers. Est-ce que les instances mettent des règlements en place pour protéger les enfants ? La réponse est non. Le jeu des instances, de la FIFA, des clubs, est encore trouble. L’objectif de l’association est de remonter l’information aux instances pour les pousser à réprimer ce trafic. Nous allons continuer à développer la Maison du Jeune Footballeur au Cameroun. C’est un bureau d’information pour les familles sur les modalités de séjour en Europe, sur les lois européennes en matière d’immigration, sur comment fonctionne le football.

 

–          En Afrique, comment s’établit la frontière entre une académie bénéfique pour les jeunes et une académie douteuse ?

Si c’est la fédération qui contrôle l’académie, il y a une traçabilité obligatoire des élèves. Après, n’importe qui peut monter son académie privée, beaucoup d’anciens professionnels l’ont fait et exportent des jeunes joueurs sans contrôle. Le Football est devenu une zone de non droit. On continue à exploiter les enfants africains comme on exploitait l’or au Far West, c’est une véritable traite. Ceux qui construisent ces académies pirates doivent être contraints de construire des écoles et donner un diplôme à ces enfants qui seront seulement 5% à vivre du Football. On prend le prétexte du Football pour dire qu’on leur enseigne quelque chose, soi-disant pour aider l’Afrique, c’est Hypocrite puisque qu’on la pille encore.

 

– Ou en est-on du fonds de solidarité visant à financer les programmes de préventions dans les pays les plus touchés ?

Nous avons imaginé un prélèvement, une sorte d’impôt sur tous les transferts de joueur étranger. Ce fond servirait à informer les jeunes joueurs, en Afrique, en Amérique du Sud, ou dans les pays de l’Est. C’est aux instances d’instituer cette ponction financière.

 

–          A – t – on l’exemple d’un agent condamné qui pourrait faire jurisprudence ?

Pour l’instant non. Les agents ne sont pas les seuls responsables : 60%  des cas sont le fait des clubs qui franchissent la ligne jaune en faisant jouer des jeunes sans papiers. Cerner le rôle de chaque acteur est primordiale. Notre mouvement va d’ailleurs s’orienter vers une phase active. Nous avons consulté notre avocat Maître Brun à Marseille afin de voir comment s’y prendre au pénal puisque notre logique de sensibilisation a atteint ses limites. Le consensus est inopérant. Le milieu du Football a besoin de rapport de force, de dénonciation dans la presse pour que les choses bougent ! Pour notre association c’est la fin d’un cycle confidentiel de soutien. CFS va mener des actions plus visibles à l’image de Reporter Sans Frontière.

 

Propos recueillis par PAB